10 Octobre 2014

Une couche d'ozone ténue dans l'atmosphère de Vénus

Cette illustration indique les endroits sur la face nuit de Vénus où l'ozone a été détecté dans l'atmosphère par l'instrument SPICAV à bord de la sonde ESA/Venus Express. Crédits : ESA/AOES Medialab
Cette illustration indique les endroits sur la face nuit
de Vénus où l'ozone a été détecté dans l'atmosphère
par l'instrument SPICAV à bord de la sonde ESA/Venus Express.
Crédits : ESA/AOES Medialab

En utilisant des observations de Vénus réalisées avec les instruments de Venus Express, les scientifiques ont détecté, pour la première fois, une couche d'ozone ténue dans l'atmosphère de cette planète. Située à une altitude d'environs 100 km, la couche est mille fois moins dense que celle trouvée, à une altitude moins élevée, dans la stratosphère de la Terre, mais les deux sont dominées par des réactions chimiques très similaires. Cette découverte pose de nouveaux défis pour la caractérisation des atmosphères planétaires, spécialement dans la recherche des bio-marqueurs sur des planètes extrasolaires.

L'ozone (O3) est l'une des molécules les plus importantes existant dans l'atmosphère de la Terre. Présente en quantité modérée par rapport aux autres molécules plus abondantes - telles que l'azote, l'oxygène, et le dioxyde de carbone entre autres - l'ozone joue un rôle essentiel dans la préservation de la vie sur Terre. Principalement concentrée sous la forme d'une couche dense dans la stratosphère, à des altitudes allant de 15 à 50 km, l'ozone terrestre absorbe les photons ultra-violets (UV) les plus énergétiques du Soleil, très dangereux pour les organismes vivants. En retour, l'absorption de l'UV par l'ozone réchauffe l'atmosphère et crée le changement de température qui caractérise la stratosphère.

La couche d'ozone terrestre est le résultat d'une forte abondance d'oxygène moléculaire (O2) dans l'atmosphère de notre planète. Quand elles sont exposées aux UVs solaires, les molécules d'oxygène sont cassées en atomes, qui peuvent, à leur tour, réagir avec d'autres molécules d'oxygène et former de l'ozone. Ces réactions se produisent aussi dans l'atmosphère d'autres planètes, dans la mesure où celles-ci abritent de l'oxygène.

Des observations réalisées avec l'un des instruments du satellite de l'ESA Venus Express, ont clairement mis en évidence une fine couche d'ozone dans la haute atmosphère de Vénus. Ces résultats sont rapportés dans une publication du journal Icarus et sont présentés durant la conférence conjointe de l'"European Planetary Science Congress" et de la "Division for Planetary Sciences of the American Astronomical Society" (EPSC-DPS) qui se tient cette semaine à Nantes, France.

"Nous étions entrain d'analyser les données vénusiennes en nous concentrant essentiellement sur d'autres molécules quand nous sommes tombés sur une signature singulière présente dans l'un des spectres", commente Franck Montmessin du Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS) à Guyancourt, France. M. Montmessin dirige l'équipe qui a mené cette étude. "La signature spectrale de l'ozone, une bande d'absorption dans les longueurs d'ondes UV, était suffisamment prononcée pour l'identifier à l'œil nu," ajoute-t-il.

Les données ont été collectées avec l'instrument SPICAV (Spectroscopy for Investigation of Characteristics of the Atmosphere of Venus) à bord de Venus Express en utilisant la méthode de l'occultation stellaire. Cette technique permet aux astronomes de sonder l'atmosphère d'une planète en étudiant son influence sur le spectre de lumière d'étoiles.

"Au cours d'une observation, la ligne de visée du satellite qui pointe en direction d'une étoile particulière croise l'atmosphère de la planète. A ce moment, la lumière de l'étoile est sujette à l'absorption par les composants atmosphériques", explique le co-auteur Jean-Loup Bertaux du LATMOS et de l'Université de Versailles-Saint-Quentin, France. M. Bertaux est aussi le responsable scientifique de SPICAV. "Au cours du processus, les espèces chimiques de l'atmosphère impriment leurs signatures caractéristiques surs le spectre de l'étoile, nous permettant de les repérer", ajoute-t-il.

Après avoir identifié les premières signatures dans les spectres renvoyés par Venus Express, l'équipe d'astronomes a effectué une recherche spécifique sur les données de plus de 300 orbites. L'analyse a établi la preuve irréfutable de la présence de cette molécule dans environ dix pourcent des cas. Selon ces nouvelles données, l'ozone est situé à des altitudes variées dans l'atmosphère vénusienne, entre 90 et 120 km, et est toujours concentrée dans une couche assez fine, de 5 à 10 km d'épaisseur. "L'altitude variable et la disparité spatiale des détections sont particulièrement intrigantes, et semblent suggérer qu'un mécanisme encore inconnu concentre l'ozone exactement à ces endroits," note Håkan Svedhem, Scientifique du Projet Venus Express de l'ESA.

La couche d'ozone sur Vénus est très ténue - à peu près mille fois moins dense que celle sur Terre. Néanmoins elle a pu être directement détectée par SPICAV car la méthode de l'occultation stellaire, qui pratique un sondage tangentiel à travers les couches de l'atmosphère, observe une plus grande partie de l'atmosphère et est donc sensible aux espèces chimiques en faibles concentrations. L'inconvénient de cette méthode est qu'elle dépend de la présence d'étoiles dans une direction donnée, ce qui limite la couverture au côté nuit et rend plus difficile une étude détaillée de la distribution spatiale et temporelle de l'ozone sur la planète.

"Etrangement, alors que nous nous attendions à détecter de l'ozone au point anti solaire (le point sur Vénus le plus éloigné du Soleil), où l'oxygène moléculaire est hautement concentré, nous n'en avons pas trouvé du tout à cet endroit", commente M. Montmessin. La lumière du Soleil éclairant le côté jour de la planète casse les molécules de dioxyde de carbone, libérant des atomes d'oxygène. Ils sont ensuite transportés au point anti solaire, du côté nuit, par la circulation sub-solaire-à-anti-solaire, un vent fort causé par le fort gradient de température entre les deux faces jour/nuit de Vénus. Les atomes d'oxygène transportés au point anti solaire donne naissance à l'oxygène moléculaire dont l'émission est observée, et une production d'ozone y était donc aussi attendue.

"Cette absence de détection peut s'expliquer si l'ozone est détruit par des composés chlorés, qui sont transportés vers le point anti solaire par le même mécanisme qui y amène l'oxygène", ajoute M. Montmessin. Ceci constitue une preuve indirecte que les composés chlorés affectent l'atmosphère de Vénus de la même manière qu'ils affectent la stratosphère de la Terre.

En plus de permettre une étude comparative entre les atmosphères des planètes telluriques, cette découverte a des implications notables pour l'astrobiologie et la recherche de planètes extrasolaires. L'étude de systèmes planétaires au-delà de notre système solaire inclura à terme la caractérisation de leur atmosphère notamment à travers la recherche de bio-marqueurs - composés chimiques, tels que l'eau, le dioxyde de carbone et l'oxygène moléculaire - qui sont associés, sur Terre, à une activité du vivant. Jusqu'ici, l'ozone a été considéré comme un bio-marqueur potentiel, de par son lien à l'oxygène moléculaire. Néanmoins, la détection de l'ozone dans l'atmosphère de Vénus, une planète où la vie n'y a pas été recensée, soulève la question de la pertinence de ces indicateurs d'activité biologique qui servira à la recherche future de vie dans les mondes extra solaires.