10 Octobre 2014

De surprenantes variations de dioxyde de soufre au sommet des nuages de Vénus

Graphique des abondances de dioxyde de soufre
Graphique des abondances de dioxyde de soufre
Copyright : E. Marcq et al. (Venus Express) ; L. Esposito et al. (données plus anciennes)

Depuis plusieurs décennies, les planétologues se demandent si Vénus possède encore des volcans en activité. Une équipe du LATMOS, en utilisant les données de la sonde Venus Express, a mis en évidence des variations surprenantes du dioxyde de soufre (SO2) au sommet des nuages de Vénus. Une des hypothèses possibles pour expliquer ces variations serait justement liée à la présence d'un volcanisme contemporain sur Vénus.

Vénus et la Terre ont longtemps été considérées comme jumelles : masse et taille semblables, voisines dans le système solaire. Mais tandis que les conditions sur Terre sont favorables à la vie telle que nous la connaissons, Vénus est constamment entourée de nuages d'acide sulfurique épais d'une vingtaine de kilomètres, au sommet desquels des vents d'Est violents balaient la planète constamment, en en faisant le tour en moins de quatre jours (un phénomène appelé super-rotation). Sous ces nuages se trouve une atmosphère constituée principalement de dioxyde de carbone tellement épaisse qu'elle exerce à la surface de Vénus une pression aussi grande que celle qui règne à un kilomètre de profondeur dans nos océans. L'effet de serre engendré par cette atmosphère colossale entraîne des températures au sol d'environ 470°C, de jour comme de nuit, aux pôles comme à l'équateur.

L'imagerie radar, capable de percer cette atmosphère, a révélé plus de mille structures volcaniques et fourni des éléments en faveur d'un possible "resurfaçage" périodique par des écoulements de lave. En étudiant les émissions infrarouge de tels écoulements solidifiés près d'un sommet volcanique, Venus Express avait déjà permis de déterminer que ces écoulements ont eu lieu au cours des 2,5 derniers millions d'années, un passé très proche à l'échelle géologique. Mais aucune preuve en faveur d'un volcanisme réellement contemporain n'a pu être trouvée de cette manière, et le débat fait encore rage.

La dernière contribution à ce débat vient des observations du spectromètre ultraviolet SPICAV à bord de la sonde européenne Venus Express, en opération depuis 2006 autour de la planète. Ces données montrent que la concentration en dioxyde de soufre (SO2) au-dessus des nuages a crû jusqu'à environ 1000 parties par milliard en volume (ppbv) entre 2006 et 2007, puis amorcé un long déclin au cours des cinq années suivantes jusqu'à atteindre en moyenne seulement 100 ppbv début 2012. Une telle évolution avait déjà été observée au cours des années 1980 par la mission américaine Pioneer Venus, la seule autre mission à avoir mesuré SO2 pendant plusieurs années d'affilée.

Puisqu'il n'y a pas de saisons sur Vénus, les auteurs de l'article publié dans la revue Nature Geoscience suggèrent deux pistes d'explications possibles : des périodes d'activité volcanique, ou bien des variations à long terme de la dynamique atmosphérique.

"Le dioxyde de soufre est un indicateur précieux pour étudier les processus qui ont lieu dans la haute atmosphère de Vénus" affirme Emmanuel Marcq (LATMOS/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), premier auteur de l'article. "SO2 est un constituant relativement abondant de façon permanente dans la basse atmosphère de Vénus. Un approvisionnement régulier des hautes couches a lieu grâce à la circulation atmosphérique ascendante en provenance de la basse atmosphère. Quand ce gaz arrive au-dessus des nuages, il est rapidement détruit par le rayonnement ultraviolet du Soleil, ce qui lui confère une durée de vie très courte, de l'ordre de 24h, dans la haute atmosphère. Cela implique que les variations observées de la concentration de SO2 à 70 km d'altitude ne peuvent s'expliquer que par des variations dans l'alimentation des hautes couches par la basse atmosphère."

Bien que SO2 soit présent en concentration élevée dans les panaches volcaniques, les auteurs de l'article suggèrent plutôt que l'augmentation observée avant 2007 soit indirecte, via un panache d'air chaud capable de donner un coup de pouce à la circulation habituelle. "Une éruption volcanique explosive, comparable ou plus forte encore que celle du Pinatubo en 1991 sur Terre, pourrait agir comme un piston, poussant une colonne de gaz jusqu'aux niveaux où l'on peut l'observer" ajoute Jean-Loup Bertaux, co-auteur de l'article et responsable de l'instrument SPICAV. "Ce surcroît de convection serait capable d'amener du dioxyde de soufre au-dessus des nuages et d'augmenter de façon temporaire sa concentration."

Néanmoins, la quantité de SO2 dans la basse atmosphère est restée très stable à des niveaux élevées depuis plus d'une décennie, et aucune augmentation simultanée de l'émission thermique de la surface n'a été observée. Ceci suggère une autre possibilité pour expliquer l'augmentation du dioxyde de soufre, à savoir une évolution de la circulation atmosphérique se manifestant entre autres par une alimentation accrue de la basse vers la haute atmosphère. "Pendant les périodes où SO2 est peu abondant, il y en a d'habitude davantage vers les pôles que près de l'équateur car le rayonnement UV destructeur est moins intense près des pôles", rapporte Emmanuel Marcq. "Cependant, cette distribution s'inverse en 2006-2007 lorsque SO2 est abondant. Cela s'explique par un accroissement de la circulation ascendante à proximité de l'équateur en provenance de l'atmosphère profonde perpétuellement riche en SO2. De plus, la brillance des nuages observée en lumière ultraviolette a décru sur ce même laps de temps. Il est possible que des variations sur de longues périodes aient lieu dans la circulation atmosphérique et que cela affecte les réactions chimiques qui maintiennent la couverture nuageuse de Vénus".

"Notre compréhension de la circulation atmosphérique est loin d'être complète" d'après Jean-Loup Bertaux "mais nous pensons qu'il y a, comme sur Terre, deux cellules de Hadley au sein desquelles l'air monte près de l'équateur, se dirige au niveau du sommet des nuages vers les pôles, puis redescend vers la surface avant de retourner à l'équateur. Quelle que soit l'explication véritable, il semble bien que l'évolution de la répartition du dioxyde de soufre entre les pôles et l'équateur ainsi que les variations globales observées sont cohérentes avec des fluctuations dans l'approvisionnement au voisinage de l'équateur."

"Il n'y a que très peu de moyens de rechercher les preuves d'une activité volcanique contemporaine sur Vénus" confie Håkan Svedhem, responsable scientifique à l'ESA de la mission Venus Express. "Puisque qu'il n'y a pas d'autre sonde actuellement en orbite autour de Vénus, seule Venus Express est en mesure de trouver de telles preuves. Bien qu'il ne soit pas encore possible de trancher entre les différentes explications, les données mesurées par SPICAV relancent le débat et montrent une fois de plus les similarités profondes entre les processus physiques à l'œuvre sur les planètes telluriques".

Contacts :

Emmanuel Marcq
Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS)
Université de Versailles-Saint-Quentin, France
Téléphone : +33-1-80-28-52-83
Courriel : Emmanuel.Marcq at latmos.ipsl.fr

Jean-Loup Bertaux,
Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS)
CNRS, France
Téléphone : +33-1-80-28-50-62, +33-6-80-73-08-70
Courriel : jean-loup.bertaux at latmos.ipsl.fr

Håkan Svedhem
ESA Venus Express Project Scientist
Research and Scientific Support Department
Science and Robotic Exploration Directorate
ESA, The Netherlands
Téléphone: +31-71-565-3370
Courriel : H.Svedhem at esa.int

Liens :

L'article paru chez Nature Geoscience
New evidence for recent volcanism on Venus